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Nouveaux Voyages en zig-zag



"D'où vient donc l'intérêt, le charme puissant avec lequel ceci se contemple ? Ce n'est là pourtant ni le pittoresque, ni la demeure possible de l'homme , ni même une merveille de gigantesque pour l'oeil qui a vu les astres, ou pour l'esprit qui conçoit l'univers ! La nouveauté, sans doute pour les citadins surtout, l'aspect si rapproché de la mort, de la solitude, de l'éternel silence ; notre existence si frêle, si passagère, mais vivante et douée de pensée, de volonté, d'affection, mise en quelque sorte en contact avec la brute existence et la muette grandeur de ces êtres sans vie, voilà, ce semble, les vagues pensers qui attachent et qui secouent l'âme à la vue de cette scène et d'autres pareilles. Plus bas, en effet, la reproduction, le changement, le renouvellement, nous entourent ; le sol actif et fécond se recouvre éternellement de parure ou de fruits, et Dieu semble approcher de nous sa main pour que nous y puisions le vivre de l'été et les provisions de l'hiver ; mais ici où cette main semble s'être retirée, c'est au plus profond du coeur que l'on ressent de neuves impressions d'abandon et de terreur, que l'on entrevoit comme à nu l'incomparable faiblesse de l'homme, sa prochaine et éternelle destruction, si, pour un instant seulement, la divine bonté cessait de l'entourer de soins tendres et de secours infinis. Poésie sourde mais puissante, et qui, par cela même qu'elle dirige la pensée vers les grands mystères de la création, captive l'âme et l'élève. Aussi, tandis que l'habituel spectacle des bienfaits de la Divinité tend à nous distraire d'elle, le spectacle passager des stérilités immenses, des mornes déserts, des régions sans vie, sans secours, sans bienfaits, nous ramène à elle par un  vif sentiment de gratitude, en telle sorte que plus d'un homme qui oubliait Dieu dans la plaine, s'est souvenu de lui aux montagnes.
  Mais à cette poésie que suscitent les spectacles vient s'ajouter bientôt l'attrait de la magnificence et, par une autre voie encore, par celle des sens charmés, émerveillés, l'esprit s'humilie avec je ne sais quel enivrement devant les éclatantes beautés que le Très-Haut a prodiguées jusqu'au sein de ces inaccessibles domaines de la glace et de la foudre. [...] Sous l'impression de ces magnifiques choses, des accents s'élèvent de l'âme que le langage ne sait pas dire [...]"



Rodolphe Töppfer, Nouveaux voyages en zig-zag

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